
Certains l’ont peut-être oublié : je suis de ceux que l’injustice atteint en plein cœur. Je ne fais pas semblant d’être imperméable. Ce qui est déloyal me heurte, parce que j’ai toujours placé la parole donnée et la franchise au-dessus des arrangements d’appareils. Et même si je me relève vite, même si je ne vis pas dans la plainte, la duplicité me blessera toujours davantage que l’affront frontal.
J’ai passé ma vie politique à défendre la liberté d’expression, le droit au désaccord, le débat sans tribunal moral. Et me voilà aujourd’hui, encore, jugé par celles et ceux qui, dans les discours, se drapent dans la vertu, mais qui, dans les actes, reproduisent les fermetures, les exclusions, les petites stratégies qu’ils prétendent combattre.
Car il y a une évidence que nul ne peut balayer : un camp tout entier semble aujourd’hui s’en remettre à une seule voix, une seule ligne. Tout ce qui n’entre pas dans ce couloir étroit devient suspect. Le pluralisme n’est plus un principe : il est devenu une menace pour certains.
Et c’est peut-être cela qui me révolte le plus : voir ceux qui parlent de “servir la gauche” avant tout… se servir avant de servir. On sanctifie l’intérêt général pour mieux préserver l’intérêt particulier. On invoque l’humanisme pour verrouiller des positions. On brandit la vertu pour masquer des stratégies minuscules.
Cette mécanique n’est pas neuve. Ce n’est pas la première fois que je l’éprouve, ni la première fois qu’on tente de me faire payer mon indépendance. J’ai déjà connu ces moments où l’on m’écarte, non pour ce que je fais, mais pour ce que je ne consens pas à devenir. Je n’ai pas oublié ce second tour où l’on m’a fait reculer sur la liste, non pour défendre un projet, mais pour faire de la place, comment dire, au gendre de celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, figure de cette gauche du chaos que je refuse absolument. Je n’ai jamais cédé à cette mouvance, et je n’y céderai jamais. Elle divise, elle radicalise, elle détruit.
Pourtant, je ne regrette aucun de mes engagements. Je ne regrette pas les soutiens que j’ai apportés à notre cheffe de file : elle garde envers le parti une fidélité et une loyauté que je respecte. Les forces contraires qui ont tenté de nuire restent aussi détestables aujourd’hui qu’hier. Ce que je regrette, c’est peut-être d’avoir cru, encore une fois, que la loyauté suffisait, que la confiance avait encore un sens, que la politique pouvait s’élever au-dessus des réflexes d’appareil. C’est peut-être là ma seule naïveté : croire encore que la loyauté et la volonté d’accompagner un changement suffisent à élever les comportements.
Cette fracture, je la retrouve aujourd’hui dans ce qui se prépare à Grenoble. On nous avait promis une page nouvelle après douze années de méthodes pour le moins discutables, même s’il serait injuste de dire que tout fut négatif. On nous parlait de renouvellement massif, de visages nouveaux, d’une manière différente de faire de la politique. Je ne remets pas en cause la tête de liste : je la connais trop peu pour cela. Je la trouve d’ailleurs pétillante, sincère, et je veux croire à sa bonne volonté. Mais ce que je regarde, ce sont les faits.
Et les faits, pour l’heure, racontent une histoire bien différente : des portes qui se referment, des silhouettes qu’on écarte en silence, et surtout la même constellation d’influences grises qu’hier encore tenait la maison.
Alors, oui, une question s’impose, presque malgré moi : s’agit-il d’un renouveau authentique, ou du simple replâtrage d’un édifice qui n’a, en vérité, jamais changé de fondations ?
Pour autant, je veux laisser une chance. Parce qu’en face, il existe un risque très réel ; un risque que Grenoble ne peut pas ignorer. Un ancien maire pourrait se retrouver en position de force au second tour, porté par une droite qui se dit encore républicaine mais qui, de fait, s’en éloigne à chaque moment un peu plus, et qui n’hésite plus à reprendre certaines thèses de l’extrême droite lorsqu’elles servent ses intérêts. Dans un paysage fragmenté, un tel courant pourrait revenir par la grande porte. Et cela, soyons honnêtes, serait un basculement lourd de conséquences pour la ville.
Et pour ne pas tout mélanger, même si l’émotion me pousse parfois à cette tentation irréfléchie, je le reconnais, je veux distinguer clairement ce qui se joue à Grenoble de ce qui se vit à la Région. Ce sont deux réalités différentes, deux dynamiques qui n’ont rien à voir, et je refuse d’entraîner le groupe régional dans des turbulences qui ne lui appartiennent pas.
Oui, j’ai pensé quitter le groupe à la Région. Je l’ai pensé comme un geste fort, un geste symbolique, une manière de dire ce qui devait être dit. Mais ce fut un crève-cœur. Car ici, j’ai noué des liens humains qui dépassent, j’ose encore l’espérer, les clivages politiques. Je ne dis pas que tout y est parfait, soyons honnêtes, mais lorsque je fais la balance, les choses sont plutôt positives, et j’ose croire que si certains ne souhaitent pas me voir partir, ce n’est pas seulement pour une question de moyens. J’ose croire que le travail accompli depuis tant d’années compte encore pour quelque chose.
Cette idée de partir, je l’avais déjà eue par le passé. Elle revient dans les moments où les mêmes mécanismes se reproduisent. Je ne sais pas si je la mettrai un jour à exécution, peut-être par faiblesse, peut-être par fidélité. Mais surtout parce que je refuse d’être celui qui pénalise des salariés qui n’ont rien demandé, qui travaillent admirablement et avec une gentillesse qui, elle, est véritablement sincère. Réduire les moyens du groupe, c’est les impacter directement. Et cela, je ne peux pas m’y résoudre.
Car il faut le dire clairement : le problème ne vient pas du groupe. Le groupe n’a pas à servir de dommage collatéral dans une bataille qui n’est pas la sienne. Et pour avoir échangé avec certaines personnes que j’apprécie profondément, même si je ne sais pas si l’estime est réciproque dans le tumulte actuel, je veux croire qu’il reste ici une considération humaine qui dépasse les comptes d’apothicaire.
Alors oui, cela me coûte. Oui, je reste avec cette blessure. Mais je refuse d’offrir aux manœuvriers le cadeau de mon départ, qu’ils n’attendent que pour écrire leur propre récit.
Je reste. Je reste par fidélité aux valeurs, pas aux donneurs de leçons. Je reste par loyauté envers une gauche que j’aime, pas envers celles et ceux qui se servent avant de servir. Je reste avec mes convictions intactes, mes yeux ouverts, et ma parole libre. Et je refuse de croire que le courage politique consiste à se taire ou à s’aligner.
Si un jour la gauche doit renaître vraiment, alors elle le fera avec celles et ceux qui auront refusé la peur, les exclusions et les fidélités exigées ; pas avec ceux qui confondent la vertu affichée et l’intérêt personnel…
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