Le droit de mourir ; miroir du droit de vivre

Billet

Le droit de mourir dans la dignité n’est pas une défaite du droit de vivre. Il en est peut-être l’examen le plus sincère.

Car voilà ce que cette loi révèle, à qui veut bien regarder au-delà du confort des postures : elle oblige notre société à se pencher enfin sur ce qu’elle a si longtemps ignoré. Les malades en souffrance chronique. Les personnes atteintes de pathologies neurodégénératives. Les aidants à bout de souffle. Les citoyens en situation de handicap, les invisibles de la précarité, ceux que l’on voit plus souvent aux urgences qu’à l’Assemblée. Et tous ceux, plus nombreux qu’on ne veut bien l’admettre, pour qui l’accès aux soins reste une loterie sociale, géographique, ou simplement chronologique.

Il est assez sidérant de voir aujourd’hui certains s’inquiéter du sort de celles et ceux qu’ils ont, pendant des décennies, laissés sans voix, sans soins, sans relais. Celles et ceux qu’ils brandissent aujourd’hui comme étendards, étaient hier relégués à la marge. Comme si l’indignation pouvait se substituer au devoir.

Mais il y a dans cette situation un paradoxe précieux : cette loi, bien que modeste au regard de ce que beaucoup de pays européens expérimentent depuis vingt ans, est peut-être le levier qui nous permettra, enfin, de repenser une fraternité politique concrète. Non pas une fraternité incantatoire, mais celle qui exige que l’on finance les soins palliatifs, que l’on accompagne les familles, que l’on prenne en compte la douleur psychique comme une réalité médicale, que l’on renforce les droits des aidants, que l’on se batte pour l’égalité d’accès à la santé et à l’humanité, jusque dans l’ultime passage.

Il n’est pas acceptable de faire croire que cette loi pousse à la mort ceux que la République n’a pas su protéger. Ce n’est pas la loi qui marginalise. C’est le silence, l’oubli, l’inaction. Ceux-là mêmes qui n’ont rien fait quand il fallait agir viennent aujourd’hui, à grand renfort de tribunes, feindre la compassion. Comme autrefois certains s’opposaient à l’accueil des migrants au nom des SDF, sans n’avoir jamais mis un pied au SAMU social, ni tendu la main à quiconque.

La vérité, c’est que cette loi révèle tout. Nos lacunes, nos dénis, nos hiérarchies implicites, nos lâchetés. Elle n’est pas une menace. Elle est un miroir.

Et si, en remettant tout en cause, elle nous contraint à mieux faire pour les plus fragiles, alors elle aura déjà rempli sa mission. Car le vrai progrès ne se mesure pas à ce que l’on permet de faire, mais à ce que l’on se refuse désormais à ignorer.

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