Pour ceux qui restent et ceux qui partent…

Billet

Depuis des décennies, l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) alerte, propose, explique, accompagne.

Elle œuvre avec constance pour que la France se dote enfin d’une législation à la fois respectueuse des personnes en fin de vie, lucide face à la souffrance, et garante d’un droit fondamental : celui de choisir les conditions de sa mort, lorsque l’issue est certaine, la douleur insupportable et la volonté intacte. Ce combat n’est pas celui du renoncement, c’est au contraire un combat pour la vie, pour sa qualité, sa fin, et la dignité qui doit l’imprégner jusqu’au bout.

Alors que le projet de loi sur l’aide active à mourir est examiné par l’Assemblée nationale, il est permis de douter de sa fidélité à cet idéal. Non sur les intentions affichées, mais sur les choix concrets. Là où d’autres pays, comme la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Espagne ou encore le Portugal, ont su, depuis vingt ans, mettre en œuvre des dispositifs simples, clairs, humains et sécurisés, la France semble encore prisonnière de ses propres hésitations. Le texte proposé introduit une complexité procédurale qui, sous prétexte de prudence, risque d’aboutir à une inaccessibilité réelle pour celles et ceux qui en auraient le plus besoin.

Ainsi, la constitution d’une collégialité médicale imposant la réunion physique de trois médecins, dans un contexte d’urgence vitale, relève d’un formalisme excessif. Dans les derniers instants de vie, où chaque heure compte, ce sont la simplicité et la réactivité qui doivent primer. Ce n’est pas en multipliant les barrières que l’on garantit l’éthique ; c’est en accompagnant, en écoutant, en encadrant avec justesse. D’autres pays l’ont fait ; ils n’ont ni sombré dans la dérive, ni renoncé à l’accompagnement palliatif. Bien au contraire, ces démarches sont complémentaires, pas opposées.

Autre angle mort majeur de ce texte : l’exclusion des directives anticipées. Une personne devenue incapable de s’exprimer, par exemple plongée dans un coma irréversible, ne pourra pas bénéficier de l’aide active à mourir, même si elle avait rédigé en pleine conscience, des années auparavant, une demande explicite, claire, circonstanciée. Cela revient à nier le droit des personnes à penser et prévoir leur fin de vie tant qu’elles en ont encore la capacité. C’est une lacune grave, qui trahit l’un des fondements du droit : le respect de la volonté individuelle, même en l’absence de parole immédiate.

Enfin, il est préoccupant de constater que certains, sous couvert de défendre les soins palliatifs, rejettent ou minimisent cette loi. Ce n’est pas l’aide active à mourir qui menace les soins palliatifs, ce sont les décennies d’inaction, de budgets insuffisants, de territoires sans structures adaptées. Aujourd’hui encore, plus de vingt départements n’ont pas d’unité de soins palliatifs. Que ceux qui agitent cet argument commencent par faire leur travail. Là encore, nos voisins européens ont démontré qu’une politique cohérente pouvait articuler accompagnement, soulagement et, lorsque nécessaire, délivrance.

Il est un moment où l’hypocrisie devient une forme de cruauté. Quand des citoyens, en pleine conscience, doivent franchir les frontières de leur pays pour obtenir ce que leur propre République leur refuse, le droit de mourir libres, alors le législateur doit se regarder en face. Cette loi ne sera une loi de liberté qu’à la condition qu’elle ne soit pas un labyrinthe. Une liberté entravée, ralentie, inaccessible n’est plus une liberté.

J’entends aussi, bien sûr, celles et ceux qui expriment leurs craintes. Certaines sont sincères, d’autres peut-être exagérées ou instrumentalisées. Mais toutes méritent d’être écoutées. Car une loi de liberté n’a de valeur que si elle rassure autant qu’elle protège. Il faut donc expliquer, redire que cette loi n’impose rien, qu’elle ne crée pas un devoir de mourir, mais un droit d’être accompagné jusqu’au bout, dans la clarté et l’amour. Ce geste n’est jamais un geste médical froid : c’est un acte d’humanité, un geste de tendresse, de respect, que celles et ceux qui ont accompagné un proche, dans la douleur, la fatigue, la détresse, savent reconnaître.

Pour ma part, j’ai connu ces moments. Je les porte encore. Ils enseignent la mesure, l’humilité, mais aussi cette conviction : laisser mourir dans l’indignité est une violence. Offrir la possibilité de choisir, dans un cadre scrupuleusement encadré, est un devoir de civilisation.

Ne répétons pas les errements du passé. À chaque avancée sociale, droit à la contraception, à l’IVG, au mariage pour tous, à la fin des discriminations, les mêmes voix ont tenté de freiner, d’édulcorer, de contourner. Aujourd’hui encore, il en est qui voudraient que l’on meure à huis clos, sans bruit, sans trouble, dans l’ordre établi d’une morale imposée. Qu’on le veuille ou non, ces résistances ne sont pas sans conséquence : elles maintiennent la souffrance, et parfois, l’indignité.

Nous avons une occasion historique. Celle de faire honneur à celles et ceux qui, dans leur dernier combat, réclament moins de souffrances et plus de respect. Nous devons leur répondre non pas par des dispositifs inapplicables, mais par une loi claire, digne, applicable, fidèle à la volonté du patient, encadrée bien sûr, mais jamais étouffée.

Il en va de notre humanité, et de notre cohérence républicaine.

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