La partie cachée de l’iceberg ou comment faire renaître l'espoir...

Billet

Cette politique de sécurité montre aujourd'hui les très grandes limites qui sont les siennes.

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Mais si il faut la remettre en question, il nous faut également nous remettre en question sur ces sujets importants et sur nos actions passés, présentes comme à venir.

La banlieue, comme son nom l’indique, se trouve au ban de la ville, car à une lieue du centre ville.

Cela participe inconsciemment, à la relégation de toute une population comme à un bannissement.

Cette stigmatisation date des années 1950 ou, face à l’augmentation des populations urbaines, un souci "hygiéniste" a nettoyé les centres villes de leurs taudis et expulsé à l’extérieur les populations les plus pauvres.

Pour développer la non-violence dans la ville, il faut d’abord prendre conscience de la violence de la non-ville...

La délinquance est la conséquence de la rupture de lien social. Si un jeune ne trouve pas dans la société, auprès de ses parents, à l’école, au travail, un enracinement qui structure sa personnalité et donne un sens à son existence, il va être en situation de rupture par rapport à cette société.

Le jeune en situation d’échec scolaire se retrouve sans travail, envahi par un sentiment d’échec et de souffrance, alors qu’il avait déjà du mal à se socialiser, c’est-à-dire à s’insérer dans la société. Il subit une crise d’identité.

La démission des pères est importante, et les jeunes manquant d’image de père n’ont plus de repère.

L’incivilité est précisément la conséquence d’une difficulté à se socialiser et d’une privation de citoyenneté. Elle se manifeste par des faits d’incivilité, d’impolitesse, d’irrespect, des attitudes arrogantes, des regards dédaigneux, des actes de dégradation, de bruit, de nuisance, qui isolés, ne sont pas graves, mais qui, renouvelés et généralisés, empoisonnent la vie collective et créent un climat de peur et de violence. Les incivilités peuvent constituer des infractions (ex : les tags constituent un délit, briser une vitre ou fracturer une boîte aux lettres est répréhensible ...), mais sont souvent non punissables (ex : l’impolitesse, le rassemblement dans un escalier d’immeuble ...).

Ces incivilités ont des conséquences sociales importantes : elles remettent en cause l’idée qu’une vie collective est possible, fondée sur l’échange, la communication, le respect des autres, des équipements collectifs, de l’environnement, des devoirs de chacun.

En réalité, incivilité, sentiment d’insécurité et violence sont liés. Plus d’incivilités, c’est plus de sentiment d’insécurité, plus de défiance envers les institutions, et, à terme, plus de délinquance.

L’appât du gain, la surconsommation, le "tout et tout de suite", peut aussi expliquer les menaces, la violence physique ou psychique, l’intimidation ou même 1’utilisation des armes. Il se développe en marge toute une économie parallèle, des zones de non-droit, de mafia, de trafics en tous genres, avec des caïds, des chefs de bande, avec la loi du silence...

La toxicomanie, qui nécessite beaucoup d’argent, accentue ces comportements déviants et la grande délinquance.

La souffrance qui habite les jeunes des banlieues est celle de se sentir exclu, sans travail, sans argent, sans logement à soi, sans perspectives d’avenir. L’incivilité, la violence, la délinquance sont des réponses à cette désespérance, mais il y a aussi des formes de violence tournées contre soi : la toxicomanie, l’alcoolisme, la dépression, la folie.

Le racisme et la xénophobie sont des exutoires de ce mal vivre.

La violence urbaine et le racisme sont le fait de personnes qui se sentent persécutées. Ces persécutions sont souvent réelles : du côté des jeunes auteurs de violence, il y a effectivement des discriminations qui poussent les jeunes à croire que la société les rejette. Du côté des racistes, il y a effectivement des formes d’incivilité, de la délinquance, de la violence insupportables.

Cette difficulté à vivre avec les autres est aggravée par la montée des peurs, générées par le climat de compétition généralisée : peur de perdre sa place, peur de l’avenir des enfants.

L’autorité est en crise, car elle n’offre plus la sécurité en échange de la soumission qu’elle demande : il faut trouver un moyen de construire une relation avec l’autorité qui ne soit pas basée sur la soumission et sur la peur.

On remarque dans le mode de vie des populations défavorisées un profond ennui : le temps s’écoule lentement, sans but, sans projet. Cette absence de perspective génère chez certains un processus autodestructeur, chez d’autres un sentiment de frustration et une montée de l’agressivité.

Un autre élément qui caractérise le mode de vie des banlieues est l’extrême fascination par la société de consommation. Quand les besoins vitaux sont à peine satisfaits, il est difficile d’avoir un esprit critique : certaines familles se privent de l’essentiel pour acheter à crédit une belle voiture qui restaure leur image et qu’ils défendront à coups de fusil.

Mais il nous faut impérativement trouver des alternatives à cette violence par la non-violence qui face à cette situation, propose plusieurs axes de réflexion et d’action :

  • en mettant en évidence les situations d’injustice et d’exclusion, génératrices de frustration, de conflits et de violences,
  • en faisant appliquer la loi : il peut être nécessaire de mettre en œuvre des mesures de contrainte, qui peuvent éviter le pire dans l’immédiat, mais elles ne permettent pas d’apporter une solution durable au problème posé,
  • mais aussi en tentant de rétablir la parole, la communication : il s’agit de créer des lieux où la rencontre redevient possible, des espaces intermédiaires où des médiateurs pourront rétablir la communication entre les exclus et la société,
  • en aidant les exclus à s’organiser pour se faire entendre dans la société par une action pacifique organisée,
  • en réhabilitant dans ces lieux de la police de proximité, de l'îlotage, qui par sa présence réintègre les notions régaliennes républicaines, mais renforce cette notion préventive et donc, de non-violence,
  • en fondant les politiques locales sur des connaissances factuelles,
  • en associant l’intercommunalité sur ces questions, et en développant une réflexion sur une mutualisation des moyens, vers la création d’une police intercommunale,
  • en sensibilisant la population sur les questions de réinsertion sociales des sortants de prison,
  • en engageant et en organisant le dialogue et la coopération, entre le monde clos de la prison et la ville, notamment en préparant la prévention de la récidive dès les premiers jours d’incarcération en garantissant un droit à l’accès à la formation et au travail, (en considérant aussi, les rapports coût :efficacité des efforts de prévention de la récidive)
  • et enfin en aidant localement les jeunes à sortir de la culture de violence dans laquelle ils ont baigné depuis leur plus jeune âge, et en développant une culture de non-violence.

Mettre en évidence les frustrations, les conflits et les violences nés des situations d’exclusion

Il s’agit de comprendre le pourquoi de la violence urbaine, de chercher les causes de la maladie afin de pouvoir soigner le malade.

La délinquance et l’incivilité des jeunes sont le dessus de l’iceberg : il constituent 10% des violences urbaines. La partie cachée de l’iceberg, 90%, c’est la violence d’une société qui engendre l’exclusion.

Chômage, éclatement familial, problèmes de logement, problèmes de santé, manque de revenus, échec scolaire, sentiment d’échec et d’infériorité, sont à la fois les causes et les conséquences l’un de l’autre, et forment le cercle vicieux de l’exclusion.

La violence risque d’apparaître comme le dernier moyen d’expression à celui auquel la société n’a pas permis d’avoir les bases d’une confiance en soi, que sont la réussite scolaire, l’équilibre affectif, le travail, l’autonomie financière, et à qui elle a refusé tous les autres moyens d’expression.

Celui dont tous les liens avec la société ont été brisés n’a plus de possibilité de communiquer avec les autres, sinon avec ceux qui se trouvent dans la même situation que lui. Ils vont donc constituer une bande en marge de la société, dans un autre monde, dans leur monde.

Ils estimeront qu’ils n’ont aucune raison de respecter les lois d’une société qui ne respecte pas leurs droits. La violence leur apparaît d’autant plus séduisante qu’elle est une transgression des lois. La transgression délibérée des interdits leur procure une réelle jouissance.

En même temps, il faut comprendre cette violence comme une provocation, c’est-à-dire, selon la signification étymologique de ce mot, comme un appel.

La violence est un appel au secours qui se nourrit de l’angoisse.

La violence voudrait être une parole. Elle est, du moins, un cri.

Il s’agit d’entendre cette violence avant de la condamner. Si nous l’entendons bien, nous n’aurons plus le temps de la condamner.

Il nous faut donc accepter de répondre à cette interpellation.

En définitive, cette violence est l’expression d’un désir de communication, d’un besoin de dialogue. Ce que veulent exprimer ceux qui recourent à la violence, ce n’est pas tellement qu’ils rejettent la société, mais surtout que la société les a rejetés.

La loi est la première réponse à la violence

En même temps que la société doit entendre l’appel des jeunes exprimé par la violence, elle doit réaffirmer l’interdit de la violence, et faire prendre conscience de la nécessité de la loi. La violence est une atteinte à l’intégrité physique, psychologique ou morale de l’autre.

Mais tout ce qui n’a pu être dit et résolu avec les autres est rentré dans le psychisme et explose dans la violence.

Il n’y a de vie possible qu’en établissant une distance qui permette aux uns et aux autres de se sentir respectés, qu’en établissant une distance entre soi-même et sa propre souffrance.

Cette distance est organisée à travers des règles et des lois, elle donne à chacun une place pour vivre.

Sortir de la violence, c’est donc établir la distance qui protège l’un de l’autre et qui protège chacun de sa propre pulsion destructrice. La loi trouve ici sa fonction première : donner à chaque être une place dans la chaîne des relations humaines.

Certes, nombre de lois apparaissent injustes au regard de telle valeur morale ou de telle justice économique. Aucune loi n’est définitive. Elles sont toutes le fruit d’un débat et souvent d’un combat, d’un rapport de force entre des groupes sociaux.

Mais l’absence de loi est bien plus injuste encore que la loi injuste, car c’est la loi de la jungle.

Porter plainte contre un agresseur, un voleur ou un casseur, c’est affirmer que la vie n’est possible que lorsque les uns et les autres ont intégré la loi commune.

Garantir la loi est le premier acte pédagogique face à la violence. C’est un acte indispensable pour rendre la citoyenneté à celui ou celle qui l’a perdue. Quiconque transgresse ou objecte à une loi doit être sanctionné, tant que ladite loi est en vigueur.

Bien sûr, celui qui désobéit à une loi injuste ou qui refuse un impôt destiné à un but plus que discutable est contraint à se présenter devant un tribunal, et va utiliser celui-ci comme une tribune pour faire évoluer la réflexion du citoyen et du législateur.

Mais choisir la transgression signifie toujours s’exposer à une sanction et en prendre ouvertement le risque.

La violence prouve précisément que ceux qui y ont recours ne rencontrent pas de limites. Mais en même temps, ils en ont besoin, ils demandent qu’on leur mette des limites. L’enfant, l’adolescent, le jeune a besoin de se heurter à des barrières mises en place par l’autorité des adultes. Ces limites, qui sont en même temps des repères, lui procurent la sécurité dont il a un besoin vital. L’absence de limites le plonge dans l’angoisse, et l’angoisse engendre la violence.

La démission ou l’absence des parents, l'image, et notamment des pères, est une cause essentielle de l’incivilité et de la violence.

Parler pour prendre de la distance avec l’émotion

Le deuxième acte consiste à apprivoiser la peur, à oser la parole. Quand on ne se parle plus, on se fait peur, on a peur de l’autre. Certes, la parole peut être violente, car injurieuse ou méprisante, mais la parole est le moyen de commencer à respecter l’autre. Parler, c’est retenir un moment encore le bras qui va frapper, c’est sortir de l’isolement du silence.

Parler, c’est affirmer que le rapport de force, même s’il est nécessaire, ne peut pas, à lui seul, apporter de solution au conflit.

Il y a besoin de répression lorsque la loi commune n’est pas respectée, mais il y a surtout besoin de prévention, d’éducation, d’accueil et de médiation.

La pénurie de mots chez les populations exclues est un réel problème, car elle empêche la personne de nommer avec précision ses sentiments, elle l’oblige à exprimer son émotion avec des gestes ou des cris, ou à la garder au fond de soi, ce qui est le plus grave.

Permettre à des jeunes de verbaliser leur peur, leur souffrance, leur colère, leur impuissance, c’est reconnaître l’intensité de leur émotion, c’est leur permettre de mettre des mots sur leur situation, sur leur violence, et donc de prendre du recul par rapport à elles.

Martin Luther King avait le génie de la parole pour aider à faire prendre conscience ses frères de leur dignité. Dans un sermon à Alabama, après chacune de ses phrases, "Il se peut que tu n’aies jamais été à l’école", "Il se peut que tu n’aies jamais connu ta mère", "Il se peut que tu n’aies aucun revenu" ... ; il ajoutait "Mais je suis quelqu’un !", et le groupe répétait, les yeux brillants, "But I am somebody".

L’expérience de certains mouvements associatifs le confirme : la parole est déterminante pour aider les personnes et les familles exclues à prendre conscience de leur identité, de leur solidarité, de leur dignité.

Je sais que certain(e)s jugeront mes propos ubuesques et marginaux, (je les entends déjà !!!), mais pour entendre les mots, parfois durs, provocants, menaçants, prononcés par les jeunes des banlieues, il est nécessaire que les gardiens de HLM, les conducteurs de bus, les policiers, les élus, les enseignants, éducateurs et assistantes sociales soient préparés et formés. Il faut que le corps permette cette écoute. On ne tend pas l’oreille vers celui qui se montre menaçant que si les jambes cessent de trembler, si la respiration se fait plus calme, si le cœur ne bat plus la chamade. La formation des travailleurs sociaux doit inclure la pratique de l’écoute, mais aussi la maîtrise du corps. Comme le cite Eschyle : "La violence, comme la peur, engendre la violence."

Sortir de l’exclusion et de l’oppression par l’organisation collective.

La non violence ne se borne pas à dénoncer la violence des situations d’injustice et d’exclusion, ni à contester le comportement de ceux qui ont recours à la violence pour exprimer leur angoisse ou leur refus.

A l’exemple de Gandhi conduisant la marche du sel en Inde, de Martin-Luther King organisant le boycott des bus de Montgomery, de César Chavez organisant la lutte des Chicanos en Californie, ou de la population polonaise regroupée derrière Solidarnosc, elle leur propose de s’organiser pour changer le cours des événements.

Il est important de ne pas "victimiser" les jeunes et les exclus de notre société. Bien sûr, il faut reconnaître les difficultés et handicaps que rencontrent les populations des banlieues, mais il importe aussi de travailler sur la responsabilité personnelle de chacun.

Les jeunes, trop souvent, pensent que tout est de la faute de la société, alors que leur propre attitude contribue souvent à leur rejet. Il faut travailler cette notion de responsabilité très tôt, dès la petite enfance : les mères de famille dans les milieux défavorisés ont souvent tendance à couvrir leurs enfants quand ils sont très jeunes et commettent de petits larcins, puis plus tard lorsqu’ils sont impliqués dans des trafics de drogue ou de recels. Il faut aider les personnes à accéder à un statut d’adultes capables d’assumer la responsabilité de leurs actes.

Une pratique efficace est celle de la coopération sociale, ou thérapie sociale, mise en oeuvre notamment par Charles Rojzman. Elle consiste à organiser des groupes de travail en fonction de ce que les gens disent à propos d’un problème, groupes auxquels participent des habitants très divers (électeurs Front National, militants de Ras le Front, jeunes en problème avec la justice, jeunes maghrébins ... ) et des responsables de terrain délégués par les institutions, sur leur temps de travail, avec une liberté totale de participation et sous le sceau de la confidentialité.

En se parlant et en s’écoutant mutuellement, petit à petit, les participants à ces groupes passent d’une position de victime qui accuse les autres à une position de responsabilité, et bâtissent ensemble des projets. L’objectif n’est pas de guérir les gens individuellement, mais de guérir les institutions à travers les projets impulsés par les personnes, qui découvrent que le changement personnel et le changement social sont indissociables.

Elles découvrent aussi que la coopération, c’est la capacité de travailler avec des gens qui sont différents de nous, et donc de la capacité à gérer le conflit. La coopération, c’est la gestion du conflit sans violence. La violence intervient quand on ne sait pas traiter le conflit. Il s’agit en fait de tisser des liens entre des gens qui ne peuvent pas, pour le moment, travailler ensemble.

Les populations de banlieues supportent beaucoup de choses : le chômage, la misère, la précarité, mais elles ne supportent pas le mépris et le fait d’être stigmatisés comme des citoyens de seconde zone. Elles veulent être reconnues comme faisant partie de la cité, elles veulent pouvoir exprimer leur détresse, leur découragement, mais aussi leurs aspirations. Elles n’attendent pas forcément des réponses, elles souhaitent être écoutées.

Il y a en banlieue une formidable solidarité. Les gens des banlieues, malgré les difficultés, restent vivants et profondément empreints d’humanité.

Dans les communes à fort pourcentage de population musulmane, l’ouverture de salles de prière officielles avec des imams reconnus et formés permettrait à de nombreux jeunes de retrouver des valeurs religieuses et de se restructurer, car le fonctionnement secret de salles de prières conduit à des activités de clandestinité, d’opacité, de luttes d’influence entre imams plus ou moins formés, et à l’intégrisme. De même, les associations de jeunes, souvent éphémères, souvent lieux de pouvoir et de luttes intestines, peuvent, si elles sont aidées et encadrées, participer à la restauration de la vie démocratique d’un quartier.

Ce qui manque le plus dans les quartiers défavorisés, c’est du lien social. De nombreux travailleurs sociaux peuvent intervenir (assistants sociaux, éducateurs spécialisés, etc. ) mais souvent sans coordination suffisante avec la municipalité, la justice, la police, les enseignants, les facteurs, les chauffeurs de bus, les commerçants, les patrons de bistrot, les représentants des associations, des partis, des syndicats, des religions....

Il faut affirmer la nécessité d’une maîtrise collective des lieux de vie que les individus sont amenés a fréquenter : écoles, salles communes, équipements sportifs, zones commerciales, routes, grands ensembles, transport en commun, et ceci nécessite une mobilisation sociale des habitants.

Face à l’absence ou l’insuffisance d’une mobilisation des habitants, la maîtrise collective des lieux de vie peut être assurée par des "professionnels de l’hospitalité", qui jouent le rôle de médiateurs ou de gardiens des règles de vie commune.

Des professionnels de la médiation s’avèrent de plus en plus les personnes clés pour aider les gens à dire et à partager leurs soucis, leurs peurs, leurs attentes, leur désir de faire quelque chose.

Il convient de revaloriser des métiers anciens ou recréer des postes quand ils ont été supprimés inconsidérément : concierges, surveillants de parcs publics, gardiens d’immeubles. Il faut aussi créer de nouveaux emplois dans le domaine de la médiation : îlotiers, agents d’ambiance dans les bus, correspondants de nuits (bénévoles qui se proposent de dénouer des situations tendues en dehors des heures d’ouverture d’une administration).

La stratégie non-violente ne se satisfait pas des seules fonctions de gendarme et de psychologue nécessaires à une pédagogie de la citoyenneté. Trop souvent, pour trop de gouvernements, pour trop de collectivités publiques, garantir la paix sociale consiste à étouffer toute forme de révolte qui pourrait déranger l’ordre établi.

Opter pour la non-violence, et l’afficher ouvertement, c’est estimer que la violence est l’expression destructrice d’une parole qui n’a jamais pu être dite, car elle ne pouvait se faire entendre. Par conséquent, l’action sociale non-violente passe par un troisième acte : aider les opprimés et les exclus à organiser une parole et une action qu’ils pourront enfin rendre incontournables. Leur permettre de se faire entendre dans le débat publics et d’y exprimer avec poids, avec force, des propositions constructives. Et donc contribuer à terme à l’évolution des structures socio-économiques et des lois qui les maintenaient dans l’exclusion.

Outre la coproduction de sécurité, il importe surtout que les grands quartiers relégués puissent bénéficier d’une représentation politique. En France, il arrive que seuls 15% des électeurs votent dans les grandes cités. L’abstentionnisme n’est pas le signe d’un désintérêt à l’égard de la politique, mais un refus d’une politique conçue sous une forme inadaptée. Il convient que les habitants des cités soient reconnus comme des interlocuteurs critiques pour qu’un dialogue soit possible entre eux et la puissance publique.

Le risque est grand de tenter d’acheter la paix sociale avec les emplois-jeunes, le recrutement d’agents d’ambiance, la cooptation des "grands frères", mais sans permettre aux jeunes, qu’ils soient ou non d’origine étrangère, de devenir interlocuteurs critiques dans la représentation politique, associative ou sociale.

Développer une culture de non-violence

Nos sociétés sont dominées par une culture de violence. Qu’on pense aux guerres qui ont ensanglanté notre histoire, notamment aux guerres de colonisation et de décolonisation, aux révolutions violentes, aux deux guerres mondiales et aux divers génocides du siècle qui s’achève.

Qu’on pense aux jouets de guerre donnés aux enfants dès leur plus jeune âge, aux jeux vidéo importés de Etats-Unis ou du Japon, aux films de violence à la télévision, mais aussi aux paroles sanglantes de l’hymne national français, la Marseillaise, et aux défilés militaires le 14 Juillet, anniversaire de la prise de la Bastille à l’armée par le peuple...

Pour briser le ressort de la violence, présentée comme nécessaire, légitime et honorable, il faut d’abord prendre en compte toute la réalité de la violence qui pervertit notre relation à l’autre. Il faut ensuite rompre avec les processus de justification et de légitimation de la violence, et montrer que la violence n’est pas une fatalité. Il faut montrer que la non-violence est une exigence essentielle de la conscience de l’homme, et aussi qu’elle peut constituer une alternative à la violence dans des domaines variés de la vie collective et même des relations internationales : résolution des conflits interpersonnels sans perdant, médiation dans les conflits sociaux, défense civile non-violente contre une agression étrangère, intervention civile entre des belligérants dans des conflits régionaux...

En même temps, il importe de préparer nos enfants à devenir des chercheurs de sagesse. Notre culture est en crise parce qu’elle n’est plus ouverte sur la recherche d’un sens à l’existence de chacun et à l’histoire des hommes. Pour pouvoir visiter notre héritage culturel et celui des autres civilisations, il est notamment nécessaire de réhabiliter la lecture.

Il est urgent également de préparer les enfants à être des citoyens. Une véritable éducation civique des enfants doit s’efforcer de favoriser l’autonomie plutôt que la soumission, l’esprit critique plutôt que l’obéissance passive, la responsabilité plutôt que la discipline, l’émulation et la coopération plutôt que la compétition, la créativité plutôt que la reproduction des modèles, la solidarité plutôt que la rivalité.

Une pédagogie de la paix doit apprendre à l’enfant à ne pas fuir les conflits, mais à les accepter dans un esprit d’initiative et de créativité, afin de rechercher quelle solution positive peut leur être apportée.

Dès l’école, les règles de vie doivent préfigurer celles de la société : la sanction doit être davantage une réparation qu’une punition. Pour que les élèves comprennent le sens des règles, le mieux est de les faire participer à leur élaboration. L’autorité de l’adulte doit bien sûr prévaloir, mais dans un espace scolaire où l’enfant a droit à la parole.

Le défi de l’exclusion est aussi important pour nos sociétés dites développées que celui du sous-développement l’est pour l’humanité.

Dans les deux situations, j'ai la conviction que la philosophie de la non-violence et la stratégie du combat non-violent seront déterminantes pour aider à inventer ce monde viable et vivable, durablement.

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