Chaque nuit, le Véhicule d'intervention contre l'indifférence va à la rencontre des Sans domicile fixe (SDF). Nous avons suivi une équipe pendant une tournée nocturne.
"Avant de partir, on nous a prévenus : ce soir, il n'y a plus de places d'hébergement d'urgence. Du coup, si quelqu'un a besoin de nous, ce sera "système D"". Système D ? "On installera les gens dans les sas de banque que l'on peut ouvrir avec sa carte bleue. Il y en a moins qu'avant mais il y en a encore. Sinon, il y a la solution des garages souterrains".
"Il n'y a pas une nuit qui ressemble à l'autre"
Image Jeudi 6 novembre, 22h45. Cela fait déjà plus d'une heure que Joseph, Marie-Dominique et Nicolas ont commencé leur tournée à bord du Vinci, le Véhicule d'intervention contre l'indifférence de l'association Stéphane Gemmani. "On commence toujours par faire le tour de nos habitués. On leur propose de quoi se restaurer et, dans la mesure du possible, des couvertures, explique Joseph qui conduit le véhicule. Avec l'entraînement, on repère plus facilement ceux qui se cachent la nuit. Dans les petits coins, les renfoncements à l'abri du froid". Aller vers ceux qui sont à la rue, dans une situation de grande précarité, et de nuit : telle est la mission du Vinci, qui réalise plus de 7000 interventions chaque année. 7000 interventions "mais il n'y a pas une nuit qui ressemble à l'autre, précise Joseph, bénévole depuis près de cinq ans. Parfois, on fait notre tour, la maraude, et on n'a pas d'appels. Parfois, ça n'arrête pas de sonner". La police, la gendarmerie, les pompiers, des particuliers... les coups de fil sont relayés par le 115.
"Dans la rue, on est très vite tiré vers le bas"
Image L'objectif : Orienter sans moraliser, créer du lien à une époque où le climat s'est durci. "Dans la rue, certains essaient de profiter des plus faibles. La vente de drogue marche bien, les cas de toxicomanies médicamenteuses sont nombreux", explique Stéphane Gemmani. "Des gars se retrouvent à mendier et le peu qu'ils récupèrent, ils le claquent auprès de dealers", expliquera plus tard Joseph. "Les interventions sont de plus en plus dures, de plus en plus compliquées, poursuit Stéphane Gemmani. L'ambiance est très tendue, il y a pas mal d'enfants et de femmes dehors, et la rue use. Il y a de plus de plus de très jeunes et de plus anciens. Ce qui est également impressionnant, c'est de voir combien la rue traduit avec justesse les flux migratoires, les problèmes politiques internationaux". Les drames conjugaux se multiplient aussi. Comme ce vieux monsieur qui dormait ce soir-là devant la porte d'une église du quartier Championnet. "De ce que l'on sait, il a très mal vécu la rupture d'avec son compagnon et quand ça va mal, dans la rue, on est très vite tiré vers le bas", confie Joseph.
Les pieds dans la boue, avec un manteau de fourrure
23 h15, direction la via Ferrata. Le Vinci s'aventure dans un terrain sombre pour retrouver Lenny. Il vit là-bas avec son chien. "Vous verrez, c'est quelqu'un qui parle beaucoup". Pas ce soir : dans la journée, Lenny a pris une baigne en pleine tête et il n'arrête pas de répéter "il n'avait pas le droit de faire ça !". Ce soir, il porte un classieux manteau de fourrure. Les pieds dans la boue, la scène est assez surréaliste. Entre deux coups de colère, Lenny accepte de manger un petit morceau. Joseph, qui le connaît bien, trouve les mots pour le calmer un peu. Lenny a des problèmes psychiatriques et ça fait un moment qu'il est dans la rue. Il fait partie de ces populations qui cumulent les handicaps : la précarité et des problèmes psychiques.
Avec lui, il y a Anthony et une amie. Tous les deux sont venus en entendant Lenny pousser des cris, seul dans son coin. Avant d'arriver à Grenoble, le gars a pas mal galéré. La Bourgogne, les Hautes-Alpes et la Drôme avant de se poser ici. "Avant, je vivais dans mon camion. Ici, je me suis installé dans un appart avec ma copine. J'espère vite trouver du boulot... mais ça fait drôle d'avoir un toit sur la tête. Ca faisait dix ans que je vivais comme ça alors quand je me réveille, des fois, c'est vraiment bizarre".
"Près de la gare, je trouve que ça craint"
Image 23h45, gare de Grenoble. Pendant que l'on apporte quelque chose de chaud à des hommes qui passeront la nuit dans les couloirs souterrains, le téléphone sonne. Un homme demande des couvertures et quelque chose de chaud dans le quartier de l'ïle Verte. Là-bas, il y a Jonathan, 22 ans. Il est arrivé à Grenoble à la fin de l'été : du jour au lendemain, il est venu retrouver sa copine. Il faut dire que depuis que la boîte de pompes funèbres qui l'employait a coulé, sa vie est faite de petits boulots et de séjours en foyers à répétition". En ce moment, il est à la rue. "Plutôt du côté de l'Ile Verte parce que près de la gare, je trouve que ça craint". La nuit de jeudi à vendredi, il la passera dans un sas de banque, en attendant mieux (voir également notre reportage dans le webJT).
" Ne pas être trop dans l'émotionnel, ni être trop froid"
0h40, dernier arrêt pour retrouver un habitué, couché sous des cartons à l'angle du boulevard Gambetta et du cours Lafontaine. Encore un vieil homme, qui dit qu'on lui a piqué ses sacs. Joseph et Nicolas lui donnent d'épaisses couvertures en laine. Ces fameuses couvertures dont l'association est actuellement en manque. Comme il y a un manque flagrant de bénévoles.
Que faut-il savoir finalement, avant de monter dans le Vinci. "La personne doit venir comme elle est, elle ne doit pas être formatée. On a tous des tabous, des préjugés, mais il ne faut surtout pas venir en voyeur. Ce dont on a besoin, ce sont des gens qui sont prêt à créer du lien. Et pour ça, on reste sur un fil : ne pas être trop dans l'émotionnel, ni être trop froid".