Pour les personnes autistes ou - comme il est précisé désormais pour mieux illustrer l’hétérogénéité des situations concernées - atteints de “troubles envahissants du comportement”, le XXème siècle a tout de même représenté un sauvetage, dès lors que l’on a cessé de les abandonner dans des asiles, sans soins aucuns, éloignés de leur famille, parce que l’on était convaincu qu’ils n’avaient pas de vie intérieure, puisqu’ils ne pouvaient pas en faire part. Et pourtant, désormais, des témoignages existent qui rendent cette idée insupportable.
Le XXème siècle a été un sauvetage… Si ce n’est qu’en France, précisément en France, le progrès a marqué le pas. Et la seule “solution” que l’on semble avoir trouvé, c’est l’exil pour les enfants, le bannissement pour les adultes. Au “pays des droits de l’homme”, ça vous pose un modèle de société.
Se soucie-t-on d’un problème qu’on ne voit pas ?
Mais, mardi, La Croix a publié un article, précisément intitulé “l’exil des enfants autistes”. Pas de bondieuserie dans ce titre, pas d’accroche journalistique facile : le Comité Consultatif National d’Ethique, dans un avis rendu le 8 novembre 2007, employait la même expression, et se montrait bien plus sévère que La Croix dans ses développements. Sévère, mais juste, car rappelons que la France s’est vue rappeler à l’ordre en 2004 par le Conseil de l’Europe, ce qui n’a suscité qu’un très insuffisant sursaut.
Exil ? Oui, car c’est la Belgique qui prend soin de nos enfants. Tous les lundis, au petit jour, des enfants qui ont en commun la peur de l’inconnu montent dans des ambulances, dans des trains, pour rejoindre une institution en Belgique. Ces enfants partent du Nord de la France, ils partent de l’Ile-de-France, ils partent des Alpes, aussi. Des Alpes à la Belgique, parce que la France, avec un grand F et l’emphase nécessaire, ne sait pas s’occuper de ses enfants les plus faibles. Alors, elle a imaginé une solution temporairement acceptable, avant de les oublier, ces enfants-là, puisqu’après tout, on s’en occupe. Aujourd’hui, selon le CCNE, cette situation concerne 3 500 enfants et adultes, accueillis en Wallonie.
Bannissement ? Comme le relève le CCNE dans son avis, les enfants autistes ont ceci de commun avec les autres enfants qu’ils grandissent. Ils deviennent adultes. Combien d’entre vous ont déjà croisé des personnes adultes autistes ? On parle des enfants, on connaît des enfants. Et puis, tout d’un coup, comme par enchantement, à l’âge adulte, l’autisme disparaît de notre périmètre. Il se trouve en effet que, alors que ces personnes ont du mal à s’insérer dans la société, précisément, on les en exclut. Par principe, on a en effet considéré opportun d’établir les structures d’accueil dans nos campagnes. Pourtant, nul ne peut considérer a priori que tel est le souhait de ces personnes, et que telle est la meilleure solution pour eux.
L’autre effet de cet éloignement est similaire à l’exil imposé aux enfants : la mise à l’écart physique de la société.
Par cette mise à l’écart volontaire, nous ne faisons qu’accroître l’a-normalité de ces personnes. Parce qu’on ne les croise pas, parce qu’on ne les connaît pas, leur existence même devient plus dramatique encore. Parce qu’on ne les connaît pas, on ne sait plus leur parler. Parce qu’on ne les voit pas, on ne prépare rien pour eux. Parce qu’on ne les connaît pas, être confronté à l’arrivée d’un enfant handicapé laisse les parents plus désemparés encore.
Et encore, il n'y a pas, à ce jour, de possibilité de diagnostic prénatal de l’autisme. La mise à l’écart de la société serait plus drastique encore. Au fur et à mesure, cette société qui se constitue est une société qui refuse la faiblesse, qui refuse l’imperfection. Une société sans cœur, obsédée de performance, de minceur, de jeunesse.
L’avis du CCNE qui pourrait passer pour une longue litanie des souffrances infligées par la société même aux personnes atteintes de troubles envahissants du comportement et à leurs familles (et, en particulier, à leurs mères), souligne qu’une autre société est possible, si tant est que la volonté soit là. Elle prend en exemple la Suède.
“”Included in Society” est un exemple suédois mis en oeuvre depuis 1995. En effet depuis cette époque, la Suède a interdit et supprimé les institutions destinées aux personnes atteintes d’un handicap mental, intellectuel, ou affectant les capacités de communication ou le comportement. Les internats destinés aux enfants atteints de ces handicaps ont été remplacés par des classes adaptées au sein des écoles ordinaires. Les résidences pour enfants et adolescents ont été fermées. Les parents ont reçu une aide personnelle et financière, le droit à un accueil préscolaire de jour, gratuit, assuré par des groupes locaux d’experts.
A l’intention des adultes, des foyers ont été créés pour permettre aux personnes handicapées de vivre comme des citoyens normaux, y compris les personnes atteintes de handicaps extrêmement invalidants. Les personnes handicapées ont acquis plus d’autonomie et la discrimination a régressé.
En matière de coût économique, des études réalisées en Suède et en Grande-Bretagne ont indiqué que ces modalités de prise en charge permettant une insertion sociale n’étaient pas plus chères que l’institutionnalisation. Ainsi, contrairement à ce que beaucoup ont tendance à croire, le non-respect de la dignité humaine des personnes atteintes de syndrome autistique dans notre pays ne s’explique pas par des réticences de nature économique : il s’explique avant tout par des réticences de nature culturelle.
En Suède, l’absence d’insertion sociale est considérée comme une « maltraitance », et une atteinte aux droits civiques. Au lieu de considérer, comme trop souvent dans notre pays, que parce que des enfants et des personnes adultes ont des problèmes d’interaction sociale, il faut d’abord les exclure de la société et les isoler dans des institutions avant de pouvoir les accompagner, l’idée, dans ce pays, est qu’il faut leur donner accès à ce dont ils manquent, et à quoi chacun a droit : la capacité de vivre, aussi pleinement que possible, avec les autres, parmi les autres.
Malgré des efforts importants réalisés depuis une dizaine d’années, la situation en France dans ce domaine est toujours dramatique.”
Il ne s’agit donc pas d’une évolution généralisée du système occidental. Il s’agit d’une évolution française. En France, il faut le répéter, le “non-respect de la dignité” de ces personnes “s’explique avant tout par des réticences de nature culturelle“.
Et le Comité Consultatif National d’Ethique de généraliser à raison. L’effacement de ces situations est devenu un trait saillant de notre société. Dans notre traitement de la fin de vie également, tel que notre société évolue, il y une perte d’humanité. Les personnes en fin de vie sont éloignées, isolées, écartées de notre vue pour ne pas gêner notre vie de personnes saines que terrorisent la faiblesse, la maladie, la mort. Ce faisant, au demeurant, nous nous mettons en situation d’être davantage encore terrorisés. Et puis, “in fine“, la société trouve une solution : accéder au plus vite à la demande de disparaître. A cette ultime volonté de se conformer, jusque dans la mort, à la norme construite par la société, admettre son indignité1.
Et le CCNE de lister toutes ces initiatives, louables peut-être, mais qui ne font que nous donner bonne conscience. Ces Téléthon, ces Plan Cancer, ces Plan Alzheimer. Rustines d’une société d’où s’échappe l’humanité, d’une société qui ne fait plus corps et se rassure périodiquement sur sa faculté de compassion.
“Aussi louable et essentielle que soit chacune de ces initiatives, elles traduisent chacune par défaut ce qui leur manque : une vision, une approche et une volonté globales d’accompagnement et d’insertion des personnes les plus vulnérables au coeur de notre société.
L’expérience de la Suède, mentionnée plus haut, est à ce titre exemplaire. C’est en commençant par développer un changement culturel, une approche globale, centrée sur le respect des droits fondamentaux et de la dignité de chaque personne, à l’égard de tous les enfants et de toutes les personnes souffrant d’un handicap affectant les capacités de communication, qu’il s’agisse de handicap mental, intellectuel, ou de syndrome autistique, qu’a pu être mis en place un accompagnement adapté aux spécificités de chaque handicap.”
La conclusion du Comité Consultatif National d’Ethique est à cet égard des plus claires :
“Une société incapable de reconnaître la dignité et la souffrance de la personne, enfant, adolescent ou adulte, la plus vulnérable et la plus démunie, et qui la retranche de la collectivité en raison même de son extrême vulnérabilité, est une société qui perd son humanité.”
C’est, précisément, la société que nous construisons.
Mais puisque le CCNE dit que ce n’est qu’une affaire de volonté…