Sylvie Testud : Une rencontre

Billet

Lors de l’émission du 12/14 de ce mardi 27 septembre 2005, j’ai eu l’honneur et le privilège de partager quelques moments dans les coulisses et sur le plateau avec Sylvie Testud, venant présenter la pièce qu’elle incarne et joue actuellement au Théâtre de la Croix Rousse : La pitié dangereuse…

OLYMPUS DIGITAL CAMERA Avec Sylvie Testud dans les coulisses du plateau du 12/14 de France 3 Rhône Alpes Auvergne

Quel bonheur qu’une actrice aussi douée que Sylvie Testud incarne cette dualité touchante... L’enfant de Lyon ne finit jamais de créer la surprise. Alors qu’elle a trouvé une reconnaissance éminemment populaire avec deux Césars - l’un comme Espoir dans Les Blessures assassines de Jean-Pierre Denis, l’autre comme Meilleure actrice dans Stupeur et Tremblements d’Alain Corneau – elle revient à ses premières amours, celles du théâtre où elle a débuté, avec la folie et la sincérité qu’on lui connaît. Une nouvelle aventure comme une chance, un cadeau offert à tous ceux qui ne se lassent jamais de sa justesse naturelle, troublante et délicate.

Voici l’histoire : 1913. Une petite ville de garnison autrichienne. Anton, jeune officier de cavalerie, est invité au château du fortuné Kekesfalva. Par mégarde, il invite à danser sa fille, Edith, qui est paralysée. Tentant de réparer sa maladresse, il multiplie faveurs et visites là où la jeune femme se prend à imaginer l’amour. Pitié et désir se heurtent dans cette danse mortelle, bouleversante adaptation de Philippe Faure du seul roman de Stefan Zweig.

Stefan Zweig écrit La Pitié dangereuse alors qu’il connaît les ravages de la Première Guerre mondiale et qu’il reçoit en plein cœur les signes alarmants de la seconde. Né à Vienne, en 1881, dans une famille de la grande bourgeoisie israélite, l’auteur voit en effet ses livres brûlés à Berlin dès 1933. Le roman paraît en 1938, imprégné des angoisses et regrets de celui qui regarde le ciel européen s’obscurcir de démons plus sombres encore qu’entre 1914 et 1918. La Pitié dangereuse est donc bien l’œuvre d’un déchirement, celui d’une société en proie à l’agonie, mais aussi celui de personnages rongés par l’impuissance et la culpabilité. Philippe Faure a perçu dans cette œuvre saisissante la force des grandes pièces de théâtre : il fallait l’adapter pour la scène, conférer à cette histoire d’amour impossible la dimension palpable et poignante des grandes tragédies. Après Thérèse Raquin, L’Ecume des jours ou Les Liaisons dangereuses, il s’est replongé dans l’univers de l’adaptation, avec l’audace et la finesse qui l’ont mené à retravailler d’immenses fresques romanesques sans jamais trahir leur intensité dramatique, leur esthétique, leurs enjeux.

Personnage impulsif, aux nuances passionnantes, Edith est ambivalente, accablée par son handicap, une aigreur secrète, mais mue par une force de vie, un courage incomparables. La rencontre d’Anton et d’Edith, jeune infirme, est scellée dans la vaste salle du château de Monsieur Kekesfalva. Cet espace impressionnant, aux pans toujours prêts à laisser entrevoir de nouvelles pièces, accueille ainsi les échanges de celui qui est aimé à son insu et de celle qui s’éprend aveuglément. L’ambiguïté des sentiments, l’épreuve de soi et du regard de l’autre, traversent leurs rendez-vous et les condamnent à se perdre eux-mêmes, au rythme des valses de Strauss, des notes de Gluck ou Mozart. Philippe Faure entraîne les personnages de Zweig dans un ballet cruel et mystérieux, où les mots sont fragiles, les secrets gardés, les confidences émues et douloureuses. Roman nocturne, La Pitié dangereuse appelle le monde de la pénombre, de l’indistinction. Et s’il faut cette discrétion pour laisser le doute s’épanouir, les fantasmes se libérer, c’est aussi au grand jour qu’Edith assumera son destin, éprouvera sa liberté, se hissant au digne rang des héroïnes tragiques. Eternelles et solitaires.

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